Un Anglais à Paris / Peter Winfield
Prenez un Anglais. Un bel Anglais. L’œil doit être rieur, l’accent improbable, et la bouche doit arborer cette moue subtile qui laisse entendre qu’il y a toujours un rayon d’humour derrière la grisaille du quotidien. Prenez cet Anglais et mettez-le à Paris. Qu’observe-t-on ? Rien. La ville nous semble égale à elle-même, monotone, bruyante, agitée, bégayant sans fin sa litanie « métro-boulot-dodo ». Qu’observe-t-il ? Tout. L’enfant qui dort dans l’œil d’une vieille dame. Le sourire du policier. L’élégance du balayeur. La façade oubliée qu’on ne regardait plus. L’amour au creux des rides. La joie naïve qui sommeille dans les froncements de sourcils du costard-cravate.
Alors, l’Anglais fait cette chose étrange et mystérieuse : il parle. Mieux encore, il fait parler. Et, finalement, il nous donne à voir. Il sort la réalité d’elle-même pour en goûter avec nous les meilleurs morceaux. Il décale. Il éclaire sous un autre angle pour partager avec nous son coup d’œil. Il nous invite à faire un tour derrière les apparences, dans cet espace étrange où l’agitation, un instant, s’arrête, pour laisser place à la vie.
Prenez un homme qui ne se contente pas de voir les gens mais prend le temps de les regarder, et donnez-lui un appareil photo. Il agrandira votre monde. Vous n’y croyez pas ?
Installez-vous face à une des photos de Peter Winfield et gardez un visage totalement impassible. Après de longues minutes, laissez l’éclat caustique d’un amusement bon enfant s’allumer dans votre œil, et murmurez simplement : « Oh my God! »
Voilà. Vous y êtes.
Texte de Léon Bonnaffé